The Shape of Water : Les amants étrangers

Modeste employée d’un laboratoire gouvernemental secret, Elisa mène une existence morne et solitaire, d’autant plus isolée qu’elle est muette. Sa vie bascule à jamais lorsqu’elle et sa collègue Zelda approchent une expérience encore plus secrète que les autres. Elles découvrent alors l’existence d’une créature amphibie retenue captive dans l’un des bassins de l’établissement.

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L’océan est un univers rempli de fantasmes avec lequel l’humanité entretient un rapport plus que particulier. Source d’admiration pour un univers infini comme source de terreur pour l’inconnu qu’il suggère. Guillermo del Toro navigue avec son œuvre avec aisance dans les eaux connues de la fantasy dont il infuse toutes ses œuvres passées. « The Shape of Water » ne saurait, certes, rivaliser avec la finesse d’un « Pan’s Labyrinth », mais séduit par son infinie tendresse, érigée en rempart contre la sauvagerie. Et plus que jamais, le monstre n’est pas celui qu’on croit.

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| Marginalisation des insignifiants.

Nous suivons Elisa Esposito, retrouvée enfant dans un rivière et portant au cou des cicatrices semblant témoigner de violences exercées sur son larynx. Nous sommes alors face à une véritable métaphore du rejet d’un personnage inadapté à la société américaine des années 1960, et constituant un cadre structurant et oppressant la contraignant à se confondre dans son handicap.

La richesse thématique d’un Del Toro trouve ici tout son sens et ne doit pas rester abscons pour le spectateur.

S’est-elle infligée elle-même ces mutilations ? La question reste ouverte. Par conséquent, elle vit dans une grande solitude à l’instar de son voisin de palier, un homosexuel âgée et illustrateur publicitaire sans emploi. Un artiste, un rêveur, un raté en somme dans l’esprit capitaliste.

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Au sein des années 1960, au coeur d’une Guerre froide se manifestant par une impérissable lutte avec les Soviétiques pour la conquête de l’espace, Elisa travaille comme femme de ménage dans le laboratoire gouvernemental de Baltimore. Son quotidien vole en éclat lorsque le colonel Stickland ramène d’Amérique du Sud une créature à apparence humanoïde qui fut capturé dans une rivière où les Indiens la considéraient comme un divinité.

Un espace aux rares frontières et généralement dépourvu de cadres définis.

Elisa entre alors en contact avec son âme sœur le jour où la créature se rebelle contre son tortionnaire. Eliza est tout de suite fascinée par la créature, enchaînée, retenue captive dans un grand réservoir d’eau salée. Celle-ci est différente, suscite l’incompréhension et le refus viscéral d’être acceptée.

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| Lyrisme par mise en scène.

La richesse thématique d’un Del Toro trouve ici tout son sens et ne doit pas rester abscons pour le spectateur. Nous sommes bien loin de faire face à des personnages unidimensionnels. Le colonel Stickland a des principes qui le guident dans son comportement. Incarnant les valeurs traditionnelles et patriarcales de la société américaine des années 1960 alors qu’à contrario, l’héroïne, Elisa, bénéficie de plusieurs facettes.

Véritable ouverture au rêve ainsi qu’à l’imaginaire, elle trouve sa force évocatrice dans une touche de poésie ambiante des plus étonnantes.

Elle peut être perçue comme faible et un tantinet candide de prime abord, mais elle constitue avant tout le refus d’une mise au banc. Elle ne respecte pas les normes de cette société en ouvrant les bras à toute forme de différence, que cela soit sa meilleure amie noire, son voisin de palier homosexuel ou encore son âme sœur venant d’un ailleurs.

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L’héroïne est ancrée dans son quotidien de part son travail sur des décors simplement hallucinant. Au sein d’un espace aux rares frontières et généralement dépourvu de cadres définis, tourné en objectif courte focale, notre protagoniste est positionnée au centre de l’image, au coeur du récit qui nous est conté. Isolée par son handicap ainsi que par sa position de femme dans une Amérique des années 1960.

Cela n’empêche pas Guillermo Del Toro de la positionner de manière ancré et droite dans le cadre, évoquant, par l’imagerie, la maîtrise de sa condition. Et, loin de l’accepter, elle parvient à la dépasser. Que dire enfin de la production d’Alexandre Desplat, restant immédiatement en tête. Véritable ouverture au rêve ainsi qu’à l’imaginaire, elle trouve sa force évocatrice dans une touche de poésie ambiante des plus étonnantes.

| Quelles valeurs pour la société de demain ?

Elisa et la créature se rapprochent de plus en plus jusqu’à fomenter une évasion afin de vivre de leur amour loin des yeux et des valeurs traditionnelles. Leur amour est consommé, car la condition d’être humain de cette créature est davantage prégnant que les différences l’ayant mise au banc à son tour. Toutefois, loin de son milieu naturel, elle dépérit. Elisa envisage alors de profiter de la prochaine pluie pour le relâcher dans un canal communiquant avec la mer, et dont on ouvre l’écluse quand le niveau de l’eau monte.

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S’il est d’usage de présenter Del Toro comme un fanatique des films de montres, il est bien plus préférable d’y déceler un amoureux de l’humanité dans toute sa richesse et sa diversité. Une question s’offre à nous ? Dans quel camp nous positionnerons-nous face à une telle situation ? Avec ceux qui rejettent ? Ceux qui accueillent ?

Des horizons plus cléments où la différence entre les êtres humains ne suscite pas autant de vives réactions. Un horizon qui semble ne point encore avoir été découvert.

Un tel positionnement permet au long métrage d’entrer dans une dimension intemporelle avec de grandes questions humanistes. L’action se termine avec la fuite de nos deux protagonistes vers l’infini, l’inconnu de l’océan. En somme, vers des horizons plus cléments où la différence entre les êtres humains ne suscite pas autant de vives réactions. Un horizon qui semble ne point encore avoir été découvert.

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L’être humain moyen n’apprend jamais, c’est une réalité. On a beau connaître des cycles terrestres de violence et d’oppression que monsieur tout le monde haïra son voisin par méconnaissance. Encore et encore. Cependant il arrive que quelques petites anomalies viennent s’infiltrer dans ce schéma bien huilé, donnant espoir en l’existence et en cette douce illusion d’aimer autrui davantage que soi-même.

Dans « The Shape of Water », il est question d’aborder ce même espoir, aussi fugace, fragile et sublime soit-il. Il appartient alors à son créateur d’enlever les boulons de la tuyauterie, d’ouvrir les vannes et de laisser s’échapper ce qui doit l’être…pourvu que le monde mérite un peu de tendresse.


Réalisateur · Guillermo del Toro

Acteurs · Sally Hawkins, Michael Shannon, Richard Jenkins, Octavia Spencer

Genre · Drame, Fantastique, Romance

Nationalité · Américaine

Date de sortie · 21 février 2018

Durée · 2 h 03 min


BANDE-ANNONCE · THE SHAPE OF WATER


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