The Sisters Brothers : De Poudre et d’Or, d’un western noir une philosophie crépusculaire

Les terres de l’Oregon, 1850. Les frères Eli et Charlie Sisters, deux chasseurs de primes, parcourent ce monde sauvage et hostile, les mains marqués du sang de leurs victimes… un sang qui coulait dans les veines de criminels, comme d’innocents. Ils n’éprouvent aucun état d’âme à tuer. C’est leur métier. Charlie, le cadet, est né pour ça. Eli, lui, ne rêve que d’une vie normale. Ils sont alors engagés par le Commodore pour rechercher et tuer un homme.

De l’Oregon à la Californie, une traque implacable commence. Charlie accepte son destin meurtrier tandis qu’Eli commence à montrer des signes de fatigue face à cette violence. Ils sont accompagnés par le détective Morris et Hermann Kermit Warm, un chimiste qui, en pleine ruée vers l’or, a développé une formule permettant de localiser le précieux métal.

| Paradis perdu.

Pour son premier film anglophone, le cinéaste Jacques Audiard s’attaque au genre le plus américain qui soit, le western. Audiard aurait pu alors plomber sa carrière pour la beauté du geste d’un premier film outre-atlantique, mais voilà qu’il chevauche ce grand genre avec une certaine aisance, ceci pour y faire tenir un sublime récit de fraternité, violent, grave mais surtout bouleversant.

Une réflexion philosophique abordant les thèmes de la filiation, de l’évolution des sociétés civiles et de la rédemption.

Grande réussite esthétique indéniable, le nouveau Jacques Audiard est tout sauf un western traditionnel. Nul grand canyon, nulle chevauchée. Mais des petits coins de nature, des sentiments, des personnages à plusieurs facettes, une myriade d’instants à part. Comme celui-ci : la caresse du soleil, un rideau qui bouge, soulevé par un léger vent.

La paix elle aussi peut être une sensation forte. C’est donc paradoxalement avec ce film, le plus coûteux qu’il ait jamais tourné et servi par une panoplie prestigieuse d’acteurs, que le cinéaste est peut-être le plus intimiste et le moins spectaculaire.

Même si les frères Sisters évoluent dans l’univers typiquement rude de l’Ouest américain de 1850, il s’agit davantage d’une réflexion philosophique abordant les thèmes de la filiation, de l’évolution des sociétés civiles et de la rédemption. Le monde dans lequel avance nos protagonistes est assurément barbare, injuste et régi par une violence furieuse. Celle-là même qui a toujours été au cœur du cinéma de Jacques Audiard. Mais, cette fois, des notes nouvelles de truculence et de tendresse viennent s’ajouter à la partition qui nous est habituellement proposée par le réalisateur français.

| Entre les frères de sang.

En adaptant le roman du Canadien Patrick deWitt, le réalisateur de « De battre mon coeur s’est arrêté » a ici opté pour un parcours initiatique tendant vers une aura quelque peu picaresque. Et ces frères Sisters, patronyme pour le moins désarçonnant, sont des cow-boys rugueux parlant parfois comme des marquis, prenant grand soin de se couper mutuellement les cheveux et se chamaillant régulièrement comme de véritables enfants. À l’origine de ces chicaneries se joue souvent cette question de pouvoir perpétuelle et de responsabilités relative à la place de chacun au sein de la fratrie.

Ces quatre héros ordinaires se révèle tout simplement comme des enfants perdus du capitalisme, ayant grandi au sein d’un univers sombre et sans pitié.

John C. Reilly et Joaquin Phoenix sont comme à l’accoutumées parfaits, aux antipodes des cow-boys taiseux et inébranlables inhérents à ce type d’œuvres. Face à eux, Jake Gyllenhaal et Riz Ahmed, détective et chimiste en fuite, semblent contre toute attente nouer une relation amicale tendant vers une possible future association dans une société utopiste comme jamais notamment et sans violence aucune.

Outre ses ruptures de ton, le récit surprend par ses rebondissements, qui relancent l’action vers de nouveaux enjeux. Bientôt, les duos fusionnent en un curieux quatuor, où chacun — le paisible, le violent, le dandy, l’idéaliste — s’interroge sur sa propre image. Ces quatre héros ordinaires se révèle tout simplement comme des enfants perdus du capitalisme, ayant grandi au sein d’un univers sombre et sans pitié et qui, au fil de leur traque, vont se révéler cupides et incapables d’assumer les conséquences de leurs entreprises.


Il y a autant de motifs personnels que de fantaisie dans ce western, qui parvient à décoller vers l’allégorie historique et politique, en évoquant tout à la fois la férocité affairiste d’un magnat de l’ombre via la figure du Commodore, la ruée vers l’or, mais également par la soif d’une utopie, le rêve d’une société alternative et purement pacifiée. Sur l’usage néophyte de la brosse à dents, la découverte ébahie de la grande ville et de ses commodités, le film retrouve la candeur propre au conte.

Un conte tantôt d’une féerie enivrante tel que la pure magie se révélant à nous lors de la scène d’apparition de l’or dans la rivière, tantôt d’une terrifiante descente aux horreurs du passé : les cauchemars dominés par la monstruosité du père des Sisters. Il arrive même que ces deux registres extrêmes se rejoignent lors de séquences purement angoissantes et déstabilisantes à l’instar de cette mygale s’engouffrant dans la bouche ouverte d’Eli endormi. Et en quelques plans elliptiques, le cinéaste nous fait à la fois ressentir l’agonie et la robustesse presque herculéenne du cow-boy.

Le cinéaste prouve de nouveau la maîtrise parfaite de son art, grâce à ce conte à la fois sombre, d’un optimiste certain et onirique, servi par la partition d’Alexandre Desplat et la force de l’interprétation de ses grands acteurs. En somme, « The Sisters Brothers » constitue une œuvre parfaitement aboutis, pleinement apaisé, et se révélant comme véritable western crépusculaire usant avec aisance de la carte du conte fraternel.


Création · Jacques Audiard

Acteurs · John C. Reilly, Joaquin Phoenix, Jake Gyllenhaal, Riz Ahmed

Genre · Aventure, Drame, Western

Nationalité · Belgique, France, Espagne, États-Unis, Roumanie

Date de sortie · 19 septembre 2018

Durée · 2 h 02 min


BANDE-ANNONCE · THE SISTERS BROTHERS


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