Snowpiercer : Briser le cercle de Malthus

En 2031, une nouvelle ère glaciaire condamne les derniers survivants à prendre place à bord du Snowpiercer, un train gigantesque condamné à tourner autour de la Terre sans jamais s’arrêter. Dans ce microcosme de métal et d’acier fendant la glace s’est recréée une hiérarchie des classes contre laquelle une poignée d’hommes entraînés par l’un d’eux tente de lutter.

| L’esprit dans la machine.

A l’instar de ses compatriotes Park Chan-Wook et Kim Jee-Woon, le sud-coréen Bong Joon-Ho tente à son tour de séduire le marché international avec cette co-production entre la Corée du Sud, les USA et la France.

Mais à l’inverse des metteurs en scène de « Old Boy » et de « I Saw The Devil », qui bradaient leur talent au service de simples commandes hollywoodiennes, Bong Joon-Ho va justement se servir des moyens mis à sa disposition afin de concrétiser un vieux rêve, celui d’adapter pour l’écran « Le Transperceneige », classique de la bande dessinée française, qui échappa de peu à l’oubli avant l’amorce du projet.

C’est donc une bande dessinée qui est à l’origine du projet du sud-coréen Bong Joon-ho, auteur déjà remarqué de « Memories of Murder », « The Host » et « Mother ». Film de science-fiction excitant et jouissif, « Snowpiercer » fait naitre chez le spectateur une sensation d’impatience croissante.

A l’intrigue directement héritée du roman noir du volet initial, le cinéaste préfère se concentrer sur son fond marxiste et orwellien, illustrant la révolte des classes ouvrières face à une élite noyé dans un luxe sans pareil, ceci pendant que le petit peuple renfrogne à la simple pensé de l’Autre, réfugié derrière leurs portes d’aciers.

Quand la narration s’ancre dans un lieu, elle devient spatiale, elle devient un voyage. Ici, le train est tout autant un lieu où s’opère des conquêtes, une métaphore révolutionnaire, qu’un objet lui même en chemin vers l’absolue.

Un canevas extrêmement convenu, constituant une part importante de l’anticipation contemporaine, mais que Bong Joon-Ho et son scénariste parviennent à rendre crédible et intéressant à défaut d’être orignal. Couplé à des dialogues s’attardant sur la complexité et l’horreur d’une telle situation, « Snowpiercer » repose fortement sur des personnages avant tout humains et à une progression basée sur celle des jeux vidéos.

| L’Histoire de l’humanité.

Quand la narration s’ancre dans un lieu, elle devient spatiale, elle devient un voyage. Ici, le train est tout autant un lieu où s’opère des conquêtes, une métaphore révolutionnaire, qu’un objet lui même en chemin vers l’absolue. Chaque wagon est alors une étape, une épreuve, un jeu, une énigme à traverser.

Aussitôt une porte franchie, le wagon précédent semble basculer dans un passé à jamais révolu, et le nouveau incarne alors ce présent naissant, tout aussi illusoire et provisoire.

À travers gel et désolation, la « Machine Sacré » poursuit son chemin, dépourvue de toute destination. Toute vie, en dehors des murs d’aciers, à disparu. La terre promise n’est plus. Des wagons de queue à celui de tête abritant La Machine, c’est tout un échantillonnage de l’humanité qui continue à survivre et à se perpétuer.

Les gueux et les resquilleurs du fond, surveillés par des hommes en armes, sont réduits à l’état animal et n’aspirent qu’à la révolte, c’est-à-dire arpenter la succession des voitures et ravir le pouvoir à Mr Wilford, le créateur de la sainte machine reliquaire.

Huis-clos absolu — puisque l’on ne quittera jamais le monstre d’acier de toute l’oeuvre —, apercevant tout juste de temps à autre des paysages fantomatiques et glaciaires, le film emprunte ainsi fort aux codes vidéo-ludique en se synthétisant en une série et succession de passages de portes jusqu’à l’accès du wagon de tête.

L’avancée à travers le Snowpiercer aux mille et un wagons, depuis la plus infamante indigence au luxe le plus saugrenu, devient un infernale et tragique parcours sans fin.

Le réalisateur met donc en scène un aller sans retour possible, installant successivement des scènes nouvelles et éphémères. En effet, aussitôt une porte franchie, le wagon précédent semble basculer dans un passé à jamais révolu, et le nouveau incarne alors ce présent naissant, tout aussi illusoire et provisoire. L’excitation s’origine, par conséquent, dans la découverte sans cesse renouvelée de l’inconnu.

L’avancée à travers le Snowpiercer aux mille et un wagons, depuis la plus infamante indigence au luxe le plus saugrenu, devient un infernale et tragique parcours sans fin. Les combats violents font rage, filmés dans un découpage particulièrement énergique, avec cette patte esthétique à laquelle le cinéaste nous a habitués. La vulgarité apparente des scènes d’action n’en demeure pas moins critique et le cynisme prend toute sa saveur dans l’épique, voir l’absurde.

| Fratricide et bouquet de perce-neige.

Dans une ère apocalyptique qui amplifie les dysfonctionnements des sociétés contemporaines, le film revisite en quelque sorte la naissance et le développement de la civilisation. À l’âge de glace originel succède celui du feu, de la transcription — illustrée par les dessins exécutés par un des damnés, sortes de peintures rupestres — et de l’appropriation de la technologie.

Le long convoi lancé à vive allure dans une rotation éternelle, cylindre de fer perçant la formation des névés, parcourant l’ivoirine immensité d’un hiver éternel et glacé, est aussi comme un clin d’œil aux vaisseaux spatiaux égarés.

Le sous-texte philosophique apparaitra, certes, plus convenu — émancipation, retour à la liberté, etc. — au regard des prouesses brillantes de mise en scène déployées. Le long convoi lancé à vive allure dans une rotation éternelle, cylindre de fer perçant la formation des névés, parcourant l’ivoirine immensité d’un hiver éternel et glacé, est aussi comme un clin d’œil aux vaisseaux spatiaux égarés — l’on pense alors beaucoup à Kubrick lors de cette avancée dystopique au coeur du serpent de fer.

Mais, une fois liberté recouvrée, pouvoir acquis, ascension opérée, que se passe-t-il ? L’émancipation doit avoir un prix : la responsabilité. Par conséquent, Bong Joon-Ho n’est du côté des pauvres qu’au début et dans l’intérêt dans la narration. Puis il étend sa vision satirique et elle emporte tous ses personnages. Des petits humains, plus ou moins idéalistes et concernés, plus ou moins choyés.

La grande richesse de « Snowpiercer » est de mettre en relief l’idéalisme profond de l’holisme absolu. La vision est sincère donc, même si odieuse ou délirante au regard des critères libéraux et égalitaires.

Le train est naturellement la métaphore d’une société à mener et garder sur les rails, tandis que les billets reflètent les structures de classe. Tout ceci est assumé avec une extrême rigueur. « Snowpiercer » est conceptuel à chaque instant, mais ce ne sera jamais un pensum. C’est un film où l’analyse opère sans cesse, tandis que le cinéaste se montre versatile dans la forme et systémique dans le point de vue.

| Car le Je est un Notre.

La grande richesse de « Snowpiercer » est de mettre en relief l’idéalisme profond de l’holisme absolu. La vision est sincère donc, même si odieuse ou délirante au regard des critères libéraux et égalitaires. Ce qu’elle porte, l’auteur de « The Host » le méprise peut-être, et le film apparaîtra alors comme une « critique », comme il est convenu. Mais il est plus que cela car il montre une idéologie et son rapport au réel : le théorique et son expression vitale, qui l’a engendré et dialogue avec lui.

Le récit et le concret sont nourris d’un sens propre, comme s’il y avait, in fine, un sens de l’Histoire.

Dans le train, c’est donc un semblant de fascisme post-moderne sérieux qui règne — pas celui historique de Mussolini, ni celui simplement esthétique ou encore celui fantasmé par les gauchistes—, avec au passage la technologie supérieure au service de l’emprise des dominants. C’est le mysticisme scientifique à bord et Mason/Tilda Swinton vient le traduire explicitement pour les ignares du fond – du train.

Ici, tous étaient prédestinés et chacun se retrouve à sa place, celle dévolue par les billets à l’époque qui est l’ordre tel que l’a voulu « la Machine Sacrée » de Wilford. Le récit et le concret sont nourris d’un sens propre, comme s’il y avait, in fine, un sens de l’Histoire.

Quand les insignifiants avancent vers les signifiants, ils se rapprochent du vide et du désespoir […], voyant ainsi la fin du monde, des ressources, du pouvoir ; et le gardant pour lui le plus possible, avec… le marginal, parfois leader de foules.

Puis il y a la réalité sociale. Joon-Ho est fataliste. Quand les insignifiants avancent vers les signifiants, ils se rapprochent du vide et du désespoir — la condition normale de celui qui surplombe (sauf à être un strict exploiteur ou un hédoniste), voyant ainsi la fin du monde, des ressources, du pouvoir ; et le gardant pour lui le plus possible, avec… le marginal, parfois leader de foules. À ces deux pôles là, on a le mal de l’infini. Inclus et à la remorque des puissants, les considérations sociales en sont les moins visionnaires.

| Savant et Politique, juges du contrôle de l’anarchie.

Tout le long de sa progression dans le train, Curtis découvre les secrets structurant le quotidien des passagers, leur ordre propre du monde. Car il y en a un qu’il s’agit au moins de respecter. C’est là qu’apparaît clairement la morale de l’élite responsable, pas moins cruelle pour autant.

Il s’agit d’assurer la maintenance de l’Humanité, mais aussi, à l’occasion, le divertissement du peuple, car demeure cette fugace volonté de contrôle absolu, pas moins versatile que de chercher à soulager et réconforter.

Son regard, à la fois organique et tenant les hommes comme de strictes ressources, ne les emmène pas vers un destin supérieur, car ils sont piégés ici bas. Il s’agit d’assurer la maintenance de l’Humanité, mais aussi, à l’occasion, le divertissement du peuple, car demeure cette fugace volonté de contrôle absolu, pas moins versatile que de chercher à soulager et réconforter. Cette élite est incarnée par un seul homme, ce Dieu vivant qu’est Wilford, fondateur du train. Les autres, comme Mason, peuvent être aussi spirituels et puissants qu’ils le veulent, ils restent ses seconds.

Et Curtis va devoir assimiler cette responsabilité de matrice et découvre cette combinaison de résignation et d’exigence nécessaire pour un leader ou une matrice. Snowpiercer nous montre là un univers où les valeurs et les devoirs sont dispensés à tous et non simplement aux fractions dominées, mais les personnalités les plus avancées n’en sont pas moins soumises à un sort de bouffons comme les autres.

L’urgence et l’émotion menacent de détruire l’équilibre délicat tenant l’Humanité debout sans qu’elle transgresse une Nature qui la domine éternellement.

Celui qui sort de la caverne ne peux que contempler ses limites et se trouve soudain forcé de contenir les esprits puérils, pas forcément agités pour de mauvaises raisons et parfois subissant de franches injustices, mais dont l’urgence et l’émotion menacent de détruire l’équilibre délicat tenant l’Humanité debout sans qu’elle transgresse une Nature qui la domine éternellement.

« Snowpiercer » nous plonge donc dans un état de tension et de jubilation qui ne faiblit jamais. Au contraire, au fur et à mesure de l’ouverture des portes et de l’accès à un niveau supérieur, notre frénésie redouble, stimulée par la curiosité d’apprendre quels décors et quelles folies renferment les wagons suivants.


Il faut un génie authentique d’inventivité pour faire d’un huis-clos une œuvre à grand spectacle, blockbuster de l’intime qui touche à l’universel. Un pur divertissement de prime abord, mais également parabole politique et philosophique imparable qui donne son sens et son intelligence aux actions.


Réalisateur · Bong Joon-ho

Acteurs · Chris Evans, Song Kang-ho, Ed Harris, John Hurt, Tilda Swinton

Genre · Action, Drame, Science-Fiction

Nationalités · Corée du Sud, États-Unis, France

Date de sortie · 30 octobre 2013

Durée · 2 h 06 min


BANDE-ANNONCE · SNOWPIERCER


GALLERIE · GALLERIE · GALLERIE · GALLERIE · GALLERIE

Copyright © Wild Side Films & Le Pacte | 2013

Laisser un commentaire

Un site Web propulsé par WordPress.com.

Retour en haut ↑